
« – Je ne quittais pas mon lit de la journée, il faisait extrêmement froid. Un jour, maman est sortie et a fait une chute, quand on l’a ramenée à la maison, on l’a installée avec moi dans mon lit, je faisais office de chauffage.
Un jour, quand la petite lampe à huile s’est éteinte, ma soeur est montée sur une chaise et s’est penchée en avant pour chercher des allumettes, à tâtons dans l’obscurité. C’est là qu’elle a perdu l’équilibre et est tombée. Et voilà, nous n’avions rien remarqué et nous l’appelions : Lialenka, Lialenka ! Au début elle répondait et puis plus rien.
Quand Lialenka est partie, maman a dit : je n’ai plus aucune raison de vivre. Elles avaient toujours été très liées alors que moi je passais mon temps à me faire remarquer. J’étais si mal élevée à l’époque, dans mes rêves, je me voyais trouver un biscuit ou quelque chose au milieu de mes jouets. La nourriture hantait mon esprit… c’était une obsession et c’est toujours le cas. Il paraîtrait que je suis un peu simple d’esprit. Et puis… j’ai perdu le fil.
– Qu’est devenue votre mère ?
– Lorsqu’elle a dit ne plus avoir de raisons de vivre, je lui ai répondu : et moi alors ? Et elle m’a dit sans réfléchir : tu n’as qu’à aller vivre avec le voisin ou dans un orphelinat, peu importe.
Elle est morte quelques jours plus tard, le 1er février. J’ai alors imité sa signature et j’ai pu récupérer ses tickets de rationnement du mois pour le pain. Aujourd’hui encore j’utilise la signature de maman.
Lorsqu’elle est morte, je suis encore restée six jours à ses côtés dans le lit… Voilà comme tout ça s’est terminé. »

Elie Khoury
La Gerap+